ÉCRIRE LA MUSIQUE DU CHOEUR

 

Sous la direction artistique et pédagogique de Thierry Machuel, compositeur reconnu pour son intérêt pour l’écriture vocale et l‘enseignement de sa discipline, nous avons proposé un cycle de formation à la composition musicale dédiée à l’écriture chorale pour choeur d'enfants. Cette formation a eu lieu pendant trois saisons consécutives à raison de 4 stages de 2 jours par an. Les idées faire de cet atelier était son pragmatisme affirmé et la présence de choeur d'application dès la deuxième séance de travail. Ainsi, 

différents groupes vocaux  (Chœurs d’enfants, chœur « Parents/enfants », chœur de femmes , choeurs mixtes …) que je dirigeais ont pu bénéficier de cette expérience et  aider les stagiaires à affiner leur écriture.

 

  

Un petit mot de  Thierry Machuel : Il s’agit bien de chercher un chemin de composition pour l’instrument-chœur à partir de textes et de poèmes du XXème siècle. Il ne s’agit pas d’un stage d’harmonisation ou d’un stage d’écriture. Le stage est ouvert à celles et ceux qui souhaitent approcher ou approfondir un “protocole” de création, chefs de chœur, professeurs de formation musicale, chanteurs, étudiants en musicologie, élèves en écriture des conservatoires et écoles de musique, ainsi que toute personne qui veut faire l’expérience de la création sonore. Il est seulement nécessaire d’être solfégiste. 

 

Un mot de Thierry Machuel pour la session 2007/2008

 

Description du projet

 

Introduction

 

De nombreux colloques, débats et entretiens consacrés au répertoire pour choeurs d’enfants, nous est parvenu, fréquemment, l’écho d’une insuffisance: celle d’un répertoire aux langages résolument modernes, avec une grande exigence dans le choix des textes. Il ne s’agit pas, bien sûr, de dire que rien n’a été fait, mais simplement, à partir de données objectives que nous fournissent les professionnels les plus engagés dans ce domaine, de chercher à stimuler plus encore la création, de prendre des risques artistiques, de tenter des chemins qui jusqu’alors paraissaient réservés à des choeurs d’adultes, professionnels de préférence...

La qualité de l’émotion ressentie par les chanteurs et le public ne dépend pas du degré de virtuosité, mais de la justesse des engagements de chacun : de l’auteur des textes, du compositeur, du chef, de l’ensemble des choristes, et même du public d’une certaine manière, comme s’il s’agissait là d’une action dont l’enjeu dépasse de loin celui de la musique en elle-même. À l’image de toute entreprise humaine, les liens entre les participants, l’esprit de solidarité, le sens de l’intérêt collectif, le désir d’aller au plus haut de soi-même, mais les un(e)s avec les autres et non pas seulement en solo, sont autant d’éléments à prendre en compte dans un projet choral, et doivent être pensés en préalable à l’idée musicale. C’est dans cette perspective que la création artistique prend tout son sens. Car à travers la rencontre avec un poème ou une musique totalement inédits, est remise en jeu notre propre capacité à affronter l’inconnu, à accueillir ce qui ne nous est pas familier. Cette capacité demande à être toujours développée, réactivée, elle participe à l’élan qui nous permet d’affronter la tâche de chaque jour, qu’elle soit ou non musicale. Il n’y a donc pas de « petite » création, ni de répertoire mineur, etc. Tout travail avec un choeur d’enfant peut être le lieu d’une recherche, d’une curiosité, d’une dynamique. C’est en tout cas le pari que nous faisons dans cet atelier.

 

Les ateliers d’écriture

 

Depuis plusieurs années, j’anime des ateliers de composition pour choeur, auprès de publics très variés. Le point de départ de cet enseignement a été la conviction que tout musicien peut tirer parti d’une confrontation au geste de la création musicale, quelles que soient ses intentions professionnelles, avec ou sans vocation particulière. En apportant au premier cours plusieurs recueils de poèmes, que l’on regarde ensemble, je m’efforce de concentrer l’attention des participants sur le texte. Je mets ainsi de côté la difficulté qu’ont beaucoup d’entre eux face à l’immensité des possibilités musicales. On commence donc par étudier les poèmes, dans leur signification, leur forme, leurs sonorités, leurs rythmes. C’est avec cette approche que chacun va développer son écoute intérieure. Toutefois, l’imaginaire peut être porté par d’autres stimuli que la musique : par exemple une forme graphique, une structure, une découpe du texte, une proposition de dialogue entre les voix du choeur... Je conseille toujours de procéder à l’enregistrement d’un lecteur, soit le poète s’il est disponible, soit un comédien, et de le prendre « en dictée ». Ensuite, on aborde la prosodie : placer les accents, principaux et secondaires, repérer les inflexions les plus subtiles de la voix, écouter les arrêts, les silences... ; cela conduit à une connaissance du texte en profondeur, et stimule beaucoup l’imagination musicale, puisque déjà certains paramètres comme le rythme, la courbe vocale, sont immédiatement transposables sur une partition. Puis, chacun élabore un projet de composition. Mon rôle est de guider les participants dans ce travail de conception, avec la complicité du chef de choeur, puisque la réalisation du projet dépend à la fois des capacités de celui qui l’a conçu et de celles des interprètes. Au-delà, je cherche aussi à encourager les participants vers des langages musicaux qu’ils connaissent peu, ou pas du tout, plutôt que de les laisser reproduire des modèles déjà éprouvés par eux. Cette phase peut être longue, mais là encore c’est une question de rythme : chacun le sien... Dans cet enseignement, je ne dispose pour l’instant d’aucun traité : le travail se fait donc en présence d’un choeur, qui chaque fois que cela s’avère nécessaire, chante les esquisses des participants, même lorsqu’elles sont très peu avancées. Ces séances de travail sont comme un laboratoire, où l’on essaye toutes sortes de solutions et situations, de la voix chuchotée au cri, de la note à l’accord, du cluster à la spatialisation des voix. Il s’agit alors d’être le plus réactif possible : changer la partition en temps réel, la corriger à partir d’une improvisation collective, dirigée ou simplement cadrée de quelques règles, dialoguer en permanence avec le chef et les chanteurs afin de faire évoluer l’oeuvre vers ce que l’on souhaite, tout cela est possible dans le parcours proposé ici ; l’écriture doit être mûrie à travers une expérience pratique, et non une démarche théorique. Ces séances seront d’autant plus riches que les interprètes seront impliqués, actifs dans le processus de création. Il arrive quelquefois que les choristes eux-mêmes demandent à reprendre une œuvre. C’est la plus belle conclusion que l’on puisse espérer.

 

 

L’atelier d’écriture pour choeurs d’enfants, 1ère période

 

Accueilli par le chef de choeur Manuel Coley et les enfants du choeur Icilaba, dans le cadre de l’Abbaye aux Dames de Saintes et sous le regard bienveillant de l’Institut Français d’Art Choral, l’atelier d’écriture pour choeurs d’enfants a connu sa première année lors de la saison 2006-2007. Il faisait suite à un atelier consacré à l’écriture pour choeurs de femmes (saison 2005-2006) dont le concert final avait permis d’entendre de très belles pièces, ce qui nous avait encouragé à renouveler l’expérience. Il avait été prévu de répartir le travail sur deux saisons, de 2006 à 2008, afin de laisser aux enfants le temps de mûrir les différentes partitions à interpréter. Malgré le sérieux avec lequel chacun s’est consacré à ce travail, le concert du 25 mars dernier n’a pas tout à fait répondu à nos attentes. Une trop grande disparité des textes choisis, des langages musicaux, des formes employées, a sans doute contribué à ce que les enfants ressentent un sentiment de « flottement ». La gestion des séances de laboratoire a parfois manqué de rythme. Le fait que chaque participant dirige son travail a également ralenti ces moments, qui devraient être dynamiques, comme en ébullition. Le long intervalle entre les rencontres (plus d’un mois) est également un facteur de ralentissement, car il faut un temps de remise à niveau chaque fois qu’on se retrouve. De tout cela, pris en comparaison des objectifs que nous nous étions fixés au départ, est né le projet « Voyageurs de la voix ».

 

 

L’atelier d’écriture pour choeurs d’enfants, 2ème période

 

Après un été de réflexion, j’ai décidé, en accord avec Manuel, de procéder moi-même au choix des textes à mettre en musique, à partir d’un auteur dont j’avais apporté un ouvrage lors de mon premier cours : Henri Meschonnic. Sachant qu’il avait été apprécié par tous, j’ai collecté des poèmes dans plusieurs de ses livres, et réalisé un livret. Outre l’extrême valeur du matériau ainsi recueilli, ceci nous garantit l’unité littéraire de la future suite chorale, et surtout, nous permet d’aller beaucoup plus loin dans notre recherche : en effet, Henri Meschonnic est un linguiste très renommé, dont l’oeuvre est immense. Le livret se présente comme un parcours d’initiation au langage, aux mots, aux silences entre les mots, au lien entre la Vie, la Poésie et le chant. J’ai eu l’occasion de parler avec l’auteur par téléphone, pour lui exposer nos projets, et lui proposer de nous rejoindre à l’une des sessions de travail de cette année. Il m’a donné son accord, pour le week-end de février. Sa venue serait pour nous une très grande chance. J’aurai la possibilité de préparer cet événement en le rencontrant au mois de novembre, à Paris.

 

 

En ce qui concerne les langages musicaux, je souhaite vivement que nous allions plus loin que l’an passé. Certaines pistes ont été évoquées. Simplifier, revenir à la monodie, mais une monodie non tonale, conçue aussi comme un exercice vocal, à l’image des « inventions » de Bach pour le clavecin. Aller plus souvent vers le rythme, savoir « installer » une mesure, ou même seulement une pulsation. Réfléchir ensemble, plus en amont de l’écriture, à la complémentarité des créations des uns et des autres, éviter de gérer cela a posteriori. Être plus imaginatif dans les formes employées. Adapter plus finement l’écriture selon qu’il s’agit d’enfants de 7/9 ans ou de 10-14 ans. Être plus dans l’ « énergie », la nôtre d’abord, à gérer dans le temps ramassé d’un week-end, et celle des enfants, qui conditionne leur adhésion au projet. Intégrer l’instrumentation au plus tôt...

Afin de faire face au manque de temps pour les enfants, je propose de leur adjoindre le choeur de femmes que Manuel avait réuni pour le concert de 2006. Ainsi, la possibilité de partager la tâche entre les deux groupes, enfants et adultes, nous permet d’envisager le concert de juin plus sereinement. Par ailleurs, à la demande des participants, j’avais fait l’an dernier quelques interventions sur le thème de l’exercice de style, avec pour sujet les chorals de Bach. Là encore il semble possible d’aller plus loin. Même si chacun devra s’exprimer avec son langage propre, certains éléments peuvent être empruntés à cette forme d’enseignement : l’emploi de règles strictes, la réalisation de pièces courtes, de forme condensée, par exemple, ou la réalisation de plusieurs essais de même type afin de délier le savoir-faire... Notre principal obstacle, là encore, sera le temps. Il faut que les enfants aient le temps de répéter les oeuvres, mais il faut d’abord que les compositeurs aient le temps de les écrire ! Le calendrier actuel se présente donc ainsi :

 

WE des 8-9 décembre :

samedi : lecture des textes en commun ; répartition des textes entre choeurs, solistes, etc. ; répartition du travail entre les compositeurs ; analyse des textes ; premiers éléments de réalisation ; préparation à la répétition du dimanche matin ;

dimanche : séance de découverte du livret avec les enfants, et d’improvisation dirigée, centrée sur la voix parlée, la diction ; réunion avec le choeur de femmes ; filage parlé ; débat critique.

 

WE des 2-3 février :

samedi : rencontre avec Henri Meschonnic ; approfondissement sur le texte ; dialogues ; livraison (lecture et correction) des oeuvres pour choeur d’enfants ; préparation à la répétition du dimanche matin ;

dimanche : rencontre entre Henri Meschonnic et Icilaba ; travail des oeuvres, improvisation, spatialisation ; filage ; débat critique.

 

WE des 5-6 avril :

samedi : livraison (lecture et correction) des oeuvres pour choeur de femmes ; préparation à la répétition du samedi soir ; répétition avec le choeur de femmes ;

dimanche :répétition avec Icilaba ; réunion avec le choeur de femmes ; filages ; débat critique.

 

WE de fin de stage :

samedi : travail d’édition de la suite chorale : correction d’épreuves, tirage ; répétitions.

dimanche : raccord ; concert public ; débat.

 

 

"J'écris des poèmes, et cela me fait réfléchir sur le langage. En poète, pas en linguiste. Ce que je sais et ce que je cherche se mêlent. Et je traduis, surtout des textes bibliques. Où il n'y a ni vers ni prose, mais un primat généralisé du rythme, à mon écoute. La conjonction de ces trois activités a donné lieu pour moi à une certaine forme de pensée critique, à partir d'une transformation de la pensée traditionnelle du rythme à laquelle ont mené nécessairement ces trois activités, justement par leur conjonction. De là une critique générale des représentations du langage, et d'une carence de la pensée du langage dans la pensée contemporaine. L'importance de la critique a relativement occulté les poèmes, surtout dans la mesure de la résistance que cette pensée a suscitée. Vérification empirique que la pensée fait mal, et d'abord, socialement, à qui essaie de penser. Mais le poème, tel que je l'entends, transformation d'une forme de vie par une forme de langage et d'une forme de langage par une forme de vie, partage avec la réflexion le même inconnu, le même risque et le même plaisir, le même pied de nez aux idées reçues du contemporain. Puisqu'on n'écrit ni pour plaire ni pour déplaire, mais pour vivre et transformer la vie." Henri Meschonnic.